Économie de la dette et religion
Notre époque est caractérisée par l'hégémonie du pouvoir économique, marquée par une rela-tion inédite entre les modalités d’existence des individus et la gestion économique planétaire. Les opé-rations économiques sont parvenues à un degré d’abstraction extrême et dépendent toujours plus étroi-tement de transactions financières qui semblent déterminer le cours mondial de manière autonome, indépendamment de l’économie réelle ou de l’existence des individus et des communautés. On ré-clame pourtant sans cesse d’investir dans les vies singulières, alors même qu’il ne semble plus pos-sible de rien demander. En vérité, sous une forme nouvelle chaque vie est impliquée dans le méca-nisme financier. De ce point de vue, même les «sacrifices» invoqués pour faire face à la crise écono-mique actuelle se révèlent plus problématiques que ne le laisse entrevoir la manière ordinaire dont ils sont présentés.
Conformément à l'analyse dominante, une époque d'économies et de renoncements aurait du avoir lieu après une phase de gaspillage et de consommation, en tant que moment expiatoire pour une faute commise. “Austérité” a été le slogan qui a prévalu sur les politiques économiques européennes des derniers années guidés par le “modèle allemand”, partisan d'une vision de “culpabilité” des pays endettés, comme la Grèce. Mais à mieux y regarder, un emboîtement plus profond unit les deux stades apparemment antithétiques, celui de gaspillage et celui de renoncements. L'exercice au sacrifice, qu'on nous a requiert aujourd’hui, nous invite à une réflexion plus profonde sur le rôle de la dette dans l'économie mondiale . Ainsi, l’antithèse du moment de la jouissance et du moment du renoncement se complique, pour ouvrir une perspective plus complexe.
Pour une réflexion qui aille dans cette direction, je tenterai de reconstruire, en premier lieu, les événements des dernières années, avec la conviction que dans l’actuel phénomène de l’endettement il y ait quelque chose qui échappe à une approche de caractère strictement spécialiste de l’économie. Je voudrais donc essayer de proposer une analyse de la dynamique religieuse au coeur de l’économie mondiale et son enracinement dans la religion chrétienne.